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Le droit au doute scientifique, par Claude Allègre
Source :
http://www.fahayek.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1196&Itemid=1
27-10-2006

A-t-on le droit d'émettre des doutes sur une théorie
scientifique "officielle", estampillée par les
médias et les politiques ? A partir des années 1980,
un groupe de scientifiques a défendu l'idée que l'augmentation
de la teneur en gaz carbonique dans l'atmosphère allait
conduire à un réchauffement généralisé du
climat de la Terre, à partir d'un mécanisme physique
bien connu, l'effet de serre. C'est-à-dire l'absorption
par certaines molécules, dont le CO2, mais aussi l'eau et
le méthane, des rayons infrarouges émis par la Terre
chauffée par le Soleil.
Ce groupe de scientifiques s'est organisé à l'échelon
international sous l'égide des Nations unies pour rédiger
des rapports officiels et promouvoir la recherche en climatologie.
Sous-jacente à cette démarche, l'idée que
l'homme est coupable et que nous courons à la catastrophe
planétaire. Aujourd'hui, la climatologie est devenue une
science à la mode, et ses budgets de recherche ont été multipliés
par des facteurs importants (sans doute presque 10 aux Etats-Unis).
Du point de vue médiatique
et politique, cette théorie est devenue pour certains une
certitude, une vérité incontestable.
L'idée de réunir des experts pour connaître
l'état de la science et permettre ensuite aux politiques
de décider paraît logique. Malheureusement, lorsqu'on
se trouve dans un domaine où la science est en pleine évolution,
où les découvertes se succèdent, où rien
n'est simple, les interprétations sont variées, et
variables. La "vérité" scientifique - si
tant est que cette expression ait un sens - ne s'établit
que petit à petit, disons après une génération.
La science est un processus de démocratie
différée ! Or, aujourd'hui, on assiste à la
mise en place d'un consensus s'appliquant à tout, à tous,
et tout de suite !
Tous les quatre ans, un premier panel international de scientifiques
réalise un premier rapport. Celui-ci est transmis à un
second panel composé de représentants des gouvernements
(certains sont scientifiques, d'autres non) qui établit
le consensus sur un scénario. Le premier rapport, très
volumineux, contient des points de vue assez nuancés,
mais il n'est guère lu. C'est le second rapport, plus
court, plus politique, plus affirmatif, qui devient de fait la
vérité officielle. On imagine
les effets de la même procédure appliquée aux
OGM ou aux cellules souches !
Cette manière de faire ressemble à celle qui eut
lieu autrefois dans certains régimes et qu'on ne veut pas
revoir dans le monde libre. L'épisode actuel n'est qu'une
petite manifestation de cette pratique de dictature
intellectuelle.
On nous dit que 99 % des scientifiques sont d'accord ! C'est
faux. Quatre-vingts scientifiques canadiens, dont beaucoup de
spécialistes
du climat, ont écrit au premier ministre pour le mettre
en garde contre le prétendu consensus. En France, des scientifiques
et ingénieurs m'écrivent pour dire que, mettant en
doute la vérité officielle, ils ont été empêchés
de s'exprimer. Enfin, l'article publié dans le Wall Street
Journal du 12 avril, "Climat de peur", écrit par
l'un des plus grands météorologues mondiaux, professeur
au MIT, Richard Lindzen, raconte comment des scientifiques de talent
ont
perdu leur poste pour avoir contesté la vérité officielle,
et comment d'autres ont perdu leurs moyens de recherche. Il ne
parle pas de la campagne de calomnie que l'on a orchestrée
pour le salir, l'accusant d'être à la solde des compagnies
pétrolières, ce qui est infâme !
Heureusement, en France, on n'en est pas encore là ! Alors
pourquoi ces réactions violentes face à mes doutes
et mes questions ? Ces mêmes attaques que la médecine
développait contre le chimiste Pasteur, ou que les géologues
développaient contre le climatologue Wegener !
La raison de tout ce tintamarre est la peur. Car plus les recherches
climatologiques avancent, plus la vérité officielle
apparaît fragile. L'eau est le principal agent de l'effet
de serre, 80 fois plus abondant que le CO2 dans l'atmosphère,
or on arrive difficilement à modéliser le cycle
de l'eau, notamment parce qu'il est difficile de modéliser
les nuages, de déterminer la proportion de cirrus (qui
contribuent à réchauffer) et celle de stratus (qui
refroidissent). Le rôle des poussières naturelles,
industrielles et agricoles est également mal compris, notamment
dans la nucléation des nuages. De la même façon,
on constate que les teneurs en composés soufrés dans
l'atmosphère ont décru depuis trente ans, mais on
connaît mal leur rôle, alors qu'ils sont des agents
potentiels de refroidissement. Il apparaît aussi que le rôle
du Soleil a été sous-estimé. Sans parler des
effets possibles du rayonnement cosmique galactique, comme viennent
de le proposer, avec expériences à l'appui, des scientifiques
danois.
Mon collègue Le Treut lui-même soulignait dans son
discours devant les cinq Académies (Le Monde du 25 octobre)
combien les modèles étaient entachés d'incertitudes.
Ce qui est positif dans tout cela, c'est que l'Académie
des sciences va organiser un débat contradictoire sur le
sujet. Pour la première fois, il sera possible de comparer
les opinions des uns et des autres. Ce débat entre scientifiques,
et devant les autres membres de l'Académie, permettra dans
la sérénité d'établir non pas la vérité,
mais l'état des lieux. Ensuite, publication à l'appui,
chacun pourra juger.
J'ai connu des combats semblables lorsque, avec quelques collègues,
je défendais la théorie de la tectonique des plaques,
en France, au début des années 1970, face à une
communauté scientifique majoritairement hostile. Je fus
calomnié, accusé par certains d'être un agent
de la CIA chargé de propager une théorie américaine
d'autant plus qu'en même temps j'incitais les Français à publier
en anglais dans les revues internationales ! Plus tard, j'ai défendu
le rôle indispensable des observatoires volcanologiques pour
prévoir les éruptions, plutôt que le secours
des "gourous". J'ai mené d'autres combats dans
ma spécialité, souvent seul ou presque, critiqué un
jour, honoré dix ans après. J'ai donc une certaine
habitude de lutter contre les majorités et de m'opposer
aux "consensus",
et je sais qu'historiquement la science n'a fait de grand progrès
qu'à travers de grands débats. Je sais aussi que
je peux avoir tort, et je n'aurai dans ce cas aucune peine à changer
d'avis, mais je suis sûr que le doute est par essence
porteur de progrès.
Mais que personne ne se méprenne, je ne suis nullement un
défenseur du productivisme. Je sais que l'homme malmène
la planète, je sais que l'eau est un problème, que
le CO2 acidifie l'océan, que la biodiversité est
menacée, qu'il faut modifier nos pratiques, économiser
la planète, respecter la Nature. Je dis, simplement, ne
nous trompons pas de combat et prenons les mesures appropriées.
Je revendique haut et fort l'écologie réparatrice
par opposition à l'écologie dénonciatrice.
Pour pratiquer la première, il faut séparer les problèmes
et les résoudre un à un. Comme on l'a fait pour le
plomb dans l'atmosphère, les chlorofluorocarbones pour la
couche d'ozone, les composés soufrés pour les pluies
acides, etc. Dans l'écologie dénonciatrice, on mélange
tout : le réchauffement climatique, la biodiversité,
la pollution des villes, la population mondiale, l'assèchement
de la mer d'Aral, etc. Avec comme résultat de susciter la
peur... et de ne finalement rien résoudre, écrasé par
l'immensité des défis.
Je revendique le droit de dire que j'émets des doutes sur
le fait que le gaz carbonique est le principal responsable du changement
climatique. Horreur, au pays de Descartes, je revendique le droit
au doute !
Claude Allègre, géophysicien, est ancien ministre
(PS) de l'éducation.
©
Le Monde, 2006
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