
Des chercheurs ont questionné les consommateurs
sur leur
préférence: maïs génétiquement
modifié ou
traditionnel traité avec des pesticides?
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Annie Morin
Le Soleil
Québec
Mangeriez-vous du maïs sucré contenant des vers? Cette
question, posée par des chercheurs canadiens, est au cœur
d’une controverse internationale sur les organismes génétiquement
modifiés (OGM).
L’histoire remonte à 2000. Des scientifiques de l’Université de
Guelph, en Ontario, veulent évaluer le comportement des
consommateurs lorsqu’ils sont confrontés aux OGM.
Dans un comptoir de vente à la ferme, un agriculteur leur
propose du maïs sucré génétiquement modifié et
du maïs sucré traditionnel traité avec des pesticides.
Les deux choix sont bien identifiés et offerts au même
prix.
Les clients optent majoritairement pour le maïs génétiquement
modifié, dans une proportion de trois contre deux, en faisant
valoir qu’il a meilleure mine. Conclusion des chercheurs
: les consommateurs sont plus préoccupés par l’utilisation
de pesticides que par les plantes transgéniques. Leurs résultats
sont publiés dans la revue scientifique British Food Journal
en 2003 et leur valent le prix de l’article de l’année.
Peu de temps après, un journaliste du Toronto Star, Stuart
Laidlaw, révèle la présence de fiches descriptives
accompagnant les étals de maïs OGM et de maïs
nature sur les lieux de l’expérimentation. La première
commence ainsi : «Voici comment nous avons produit du maïs
sucré de qualité.» La seconde pose la fameuse
question : «Mangeriez-vous du maïs sucré contenant
des vers?»
Des militants anti-OGM irlandais et britanniques, parmi les plus
mobilisés au monde, montent au front avec Greenpeace. Ils
accusent les auteurs de l’étude d’avoir orienté le
choix des clients en laissant entendre que le maïs nature
contenait des vers. Cela afin de favoriser les multinationales
produisant des semences transgéniques, qui subventionnent
certaines des activités de recherche et de diffusion des
scientifiques en cause.
Joe Cummins, professeur à la retraite de l’University
of Western Ontario et opposant bien connu des OGM, se joint au
mouvement d’opposition. En 2006, il écrit au British
Food Journal pour dénoncer l’étude. La revue
publie sa lettre et une réplique de l’auteur principal,
le coloré Doug Powell, qui tient un blogue couru sur l’alimentation.
Celui-ci affirme que les informations controversées ont été retirées
après quelques jours. Un de ses collègues publie
des photos montrant les étals : à première
vue, pas de trace des fameuses affiches.
Rebondissement l’automne dernier, alors qu’une analyse
numérique des derniers clichés rendus publics retrace
les affiches et leur contenu. Nouveau branle-bas dans les sites
Internet des militants anti-OGM, qui croient maintenant que la
référence aux vers était visible tout au long
de l’expérimentation. Un député britannique
monte dans le train et présente en chambre une motion qualifiant
de «fraude flagrante» l’étude canadienne
sur le maïs sucré. Vingt-huit parlementaires la signent.
En janvier, Joe Cummins reprend son bâton de pèlerin
et écrit à l’éditeur du British Food
Journal pour réclamer une rétractation de l’article
et du prix qui a été décerné aux auteurs,
appuyé par une quarantaine de scientifiques de partout dans
le monde. Jusqu’à maintenant, il n’a pas obtenu
de réponse.
Que penser de toute cette histoire? François Belzile, professeur
de phytologie à l’Université Laval, convient
que «les choses n’ont pas été faites
selon les meilleurs usages», mais ne conclut pas pour autant
que la recherche est invalide. Selon lui, il est fort possible
que les phrases controversées aient orienté le choix
des consommateurs. Tout dépend de l’endroit où les
affiches se trouvaient et du temps qu’elles ont passé près
des étals.
Cela dit, d’autres études ont confirmé depuis
que «les gens sont à l’aise avec le produit
OGM quand ils entrent en contact avec, alors qu’ils peuvent
se dire très opposés dans un sondage», rapporte
M. Belzile. Il a donc toutes les raisons de croire que les chercheurs
de Guelph seraient arrivés au même résultat,
ou à peu près, sans évoquer les vers.
Le professeur de l’Université Laval fait remarquer
que le British Food Journal n’est pas une revue prestigieuse à la
Nature. Il explique également que les recherches, aussi
scientifiques soient-elles, font constamment l’objet de critiques.
Généralement, les publications en font état
dans le courrier des lecteurs et dans leur site Internet. Rarement
voit-on des rétractations, à moins de fraude flagrante
ou d’intention malveillante manifeste. Ce qui n’est
pas évident dans ce cas-ci, selon lui.
M. Belzile pense que cette affaire a pris de telles proportions
parce qu’elle embête les groupes anti-OGM, qui constatent
le peu de solidarité de leurs concitoyens quand vient le
temps de faire un choix concret. «Ce débat sur les
OGM passe 10 pieds par-dessus la tête de la majorité des
consommateurs», croit l’universitaire.